Quand le Brésil rencontre La Mecque : L'épopée savoureuse des churrascarias halal à la française
Ou comment Mohamed Boucherit a transformé le pays de la samba en terre promise du kebab grillé!
Il était une fois, dans un pays où l'on boit du vin rouge avec le fromage et où l'on mange du porc le dimanche, un homme qui eut une vision. Une vision si audacieuse, si révolutionnaire, qu'elle allait bouleverser à jamais notre conception de l'authenticité culinaire. Cet homme, c'est Mohamed Boucherit, et son rêve ? Faire du Brésil un pays... halal.
Imaginez un instant la scène : notre entrepreneur, ancien directeur chez Séphora (parce qu'après avoir vendu du parfum, pourquoi ne pas vendre du rêve culinaire ?), débarque au Brésil en 2014. Là-bas, entre deux caipirinhas et quelques grillades au feu de bois, l'illumination frappe. "Eurêka !" se dit-il probablement, "Et si je ramenais tout ça en France, mais en version halal ?" Parce que voyez-vous, quand on est passionné d'Amérique latine depuis toujours, on ne recule devant aucun paradoxe.
L'art subtil de la reconversion culturelle
Mohamed Boucherit, fort de ses dix années passées dans le textile et la parfumerie (KIABI, Go Sport, Eram, Séphora - un CV qui fleure bon le management de centre commercial), décide donc de quitter son poste douillet pour se lancer dans l'aventure de sa vie. Une année entière de business plan plus tard, en septembre 2016, naît le premier "Rodizio Brazil l'Original" à Colombes. L'Original, vous avez bien lu. Parce qu'il faut du culot pour revendiquer l'originalité quand on adapte un concept millénaire brésilien aux contraintes du halal français.
Le principe est simple, génial même : on prend la tradition du rodizio, cette belle coutume du Rio Grande do Sul où des gauchos découpent la viande directement dans votre assiette, et on la passe au filtre des préceptes islamiques. Fini le porc, adieu l'alcool, bonjour la viande certifiée halal à 70% française (les 30% restants venant d'Europe, parce qu'il faut bien faire des concessions à la mondialisation).
Le résultat ? Un spectacle fascinant où des "passadors" en costume brésilien vous servent de l'agneau halal sur des épées, dans un décor aux "couleurs du Brésil", le tout sans une goutte de cachaça à l'horizon. C'est beau comme un malentendu culturel assumé.
L'empire contre-attaque : de Colombes à la conquête de la France
Car Mohamed Boucherit ne s'arrête pas en si bon chemin. Après le succès retentissant de Colombes (enfin, "retentissant" selon ses propres termes), l'homme se lance dans une expansion digne des plus grandes épopées commerciales. 2019 voit naître le deuxième Rodizio à Noisy-le-Sec, suivi immédiatement d'une première franchise à Cergy. Parce qu'après tout, pourquoi garder pour soi une recette aussi révolutionnaire ?
L'entrepreneur ne cache pas ses ambitions : 30 établissements d'ici 2030, rien que ça. Un projet baptisé "Bahia" (en référence à Salvador de Bahia, parce qu'il faut bien maintenir l'illusion brésilienne), qui vise les grandes métropoles françaises. Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Montpellier...
Toutes ces villes vont bientôt découvrir les joies du rodizio halal. On imagine déjà les Lyonnais, habitués à leurs bouchons traditionnels, découvrant avec émerveillement qu'on peut manger de la viande brésilienne sans boire de vin. Révolutionnaire.
Le modèle économique, lui, est d'une simplicité biblique : 35 000 euros de droit d'entrée pour les franchisés, plus 6% de royalties sur le chiffre d'affaires. En échange, vous obtenez le droit d'ouvrir votre propre temple du malentendu culinaire, avec formation incluse à la "Rodizio Brazil Académie" (parce qu'il faut bien former les futurs passadors à l'art délicat de découper de l'agneau halal en faisant semblant d'être un gaucho des pampas).
Le grand théâtre de l'authenticité
Mais le génie de Mohamed Boucherit ne s'arrête pas à la simple adaptation culinaire. Non, l'homme a compris qu'il fallait vendre du spectacle, de l'émotion, du voyage. Chaque mois, tous les restaurants organisent un carnaval avec le personnel en costume et une batucada. Imaginez la scène : des serveurs français déguisés en Brésiliens, jouant de la percussion pour accompagner un repas halal dans un décor "vintage et moderne à la fois". C'est beau comme un clip de Michel Sardou tourné à Rio.
Le ticket moyen s'élève à 30 euros, la formule "tout à volonté" (ou presque) à 37,90 euros. Pour ce prix, vous avez droit à plus de dix variétés de viandes différentes, toutes halal bien sûr, accompagnées d'un buffet de plats "typiquement brésiliens" (adaptés aux contraintes religieuses, évidemment). Le tout servi par des équipes de 20 à 25 personnes par restaurant, parce qu'il faut du monde pour maintenir l'illusion.
Et l'illusion fonctionne, du moins en partie. Les restaurants affichent complet, les clients reviennent, et Mohamed Boucherit peut se targuer d'avoir créé un concept unique au monde : la churrascaria halal. Un oxymore culinaire qui défie toute logique, mais qui marche.
Quand la réalité rattrape le rêve : les voix discordantes
Mais comme dans toute belle histoire, il y a des couacs. Et les avis clients, cette impitoyable caisse de résonance de la satisfaction populaire, nous réservent quelques perles. Prenez ce commentaire sur TripAdvisor, d'un client qui avait eu la mauvaise idée d'emmener un vrai Brésilien dans un Rodizio Brazil : "First and last time in this restaurant for lunch with a Brazilian client. The meats are of average quality unfortunately. Everything is halal and no alcohol."
Aïe. Quand un authentique fils du pays de Pelé découvre votre interprétation de sa culture culinaire, et qu'il repart en courant, c'est que le concept a peut-être ses limites. Mais Mohamed Boucherit, lui, ne se démonte pas. Après tout, pourquoi s'embarrasser de l'avis des Brésiliens quand on peut créer sa propre version du Brésil ?
D'autres clients, plus diplomatiques, tempèrent : "Très bon accueil et les serveurs des viandes étaient sympas et souriant. La viande était bonne. Buffet est varié mais pas très élaboré." Pas très élaboré, le buffet brésilien ? Mais voyons, c'est tout l'art de l'adaptation ! Pourquoi s'encombrer de la complexité de la vraie cuisine brésilienne quand on peut faire simple et halal ?
Il y a bien quelques irréductibles qui défendent le concept : "Moi j'y suis allée plusieurs fois. J'aime beaucoup le concept, les viandes sont super bonnes, le buffet est bien garni." Mais ces voix restent minoritaires face au concert de critiques sur la qualité "moyenne" des viandes et l'absence criante d'alcool, cette boisson pourtant si chère au cœur des Brésiliens.
L'art de réinventer une culture
Car c'est bien là tout le génie de l'opération : Mohamed Boucherit n'a pas simplement ouvert des restaurants, il a réinventé le Brésil. Un Brésil sans cachaça, sans caipirinha, sans ces petites bières fraîches qui accompagnent si bien les grillades sous le soleil de Copacabana. Un Brésil où l'on remplace la picanha par de l'agneau halal, où les feijoadas sont adaptées aux contraintes religieuses, où les passadors portent peut-être des djellabas sous leurs costumes de gauchos.
C'est beau, c'est audacieux, c'est complètement fou. Et ça marche, parce que nous vivons à une époque où l'authenticité est devenue une notion flexible, où l'on peut vendre du "brésilien halal" sans que personne ne sourcille. Après tout, pourquoi s'embarrasser de cohérence culturelle quand on peut créer sa propre réalité ?
L'homme ne s'en cache d'ailleurs pas. Rencontré lors du Salon Franchise Halal 2019 (oui, ça existe), il explique sans rougir comment il a fait appel au cabinet AXE RESEAUX pour développer son concept de franchise. Parce qu'après avoir révolutionné la cuisine brésilienne, il fallait bien professionnaliser l'affaire.
L'émulation créatrice : quand tout le monde s'y met
Car Mohamed Boucherit n'est pas seul dans cette croisade culinaire. D'autres entrepreneurs ont flairé le filon du "brésilien halal". Ainsi naît "Obrigado Rodizio France", avec ses restaurants parisiens et lyonnais, qui promet lui aussi une "décoration aux airs de Rio" et des "plats halal riches en saveurs et en couleurs". Parce qu'apparemment, quand on fait du halal, il faut absolument le préciser dans chaque phrase marketing.
Il y a aussi "Rodizio Paris", installé boulevard Victor dans le 15ème arrondissement, qui revendique fièrement "L'authenticité brésilienne halal avec 12 viandes et buffet à volonté". Douze viandes ! Voilà qui devrait faire taire les sceptiques. Quand on a douze variétés de viande halal, on peut bien prétendre à l'authenticité brésilienne, non ?
Le phénomène prend une telle ampleur qu'on trouve désormais des sites spécialisés comme "mon-resto-halal.com" qui recensent consciencieusement tous ces temples de la fusion culturelle. Marseille, Cergy, Noisy-le-Sec, Colombes... La France se couvre peu à peu de ces établissements qui promettent le dépaysement tropical sans les inconvénients de l'alcool.
Les projets d'avenir : vers l'infini et au-delà
Mais Mohamed Boucherit voit encore plus grand. Pour 2024, il prévoit d'ajouter une "zone épicerie" dans ses restaurants, pour vendre des produits brésiliens : farine de manioc, tapioca, beignets de fromage... Parce que quand on a réussi à halal-iser la cuisine brésilienne, pourquoi ne pas s'attaquer au commerce de détail ?
L'Europe aussi est dans le viseur : Belgique et Espagne sont prévues pour 2024. On imagine déjà les Belges, habitués à leurs frites et leur bière, découvrant les joies du rodizio halal. Quant aux Espagnols, eux qui partagent pourtant une histoire commune avec l'Amérique latine, ils vont enfin pouvoir découvrir le "vrai" Brésil, version Mohamed Boucherit.
L'entrepreneur a même créé sa propre académie de formation, la "Rodizio Brazil Académie", pour former les futurs passadors. On y apprend sans doute l'art délicat de découper de la viande halal avec le sourire, de porter un costume de gaucho sans sourciller, et de parler du Brésil comme si on y était né, même quand on vient de Colombes.
Épilogue : l'art de la synthèse culturelle
Au final, que retenir de cette épopée ? Que Mohamed Boucherit, ancien parfumeur devenu empereur du rodizio halal, a réussi un tour de force : créer un concept qui n'existait nulle part ailleurs, parce que nulle part ailleurs on n'avait eu l'idée saugrenue de marier la tradition gaucho avec les préceptes islamiques.
C'est beau, c'est fou, c'est complètement décalé. Et ça marche, parce que nous vivons à une époque où tout est possible, où l'on peut vendre du rêve brésilien sans alcool, de l'authenticité sans cohérence, du dépaysement sans quitter sa zone de confort religieux.
Alors la prochaine fois que vous passerez devant un "Rodizio Brazil l'Original", souvenez-vous de cette belle histoire. Celle d'un homme qui a eu le culot de réinventer le Brésil à sa façon, et qui a réussi à convaincre des milliers de Français que l'on pouvait manger brésilien sans boire de caipirinha. Après tout, pourquoi s'embarrasser de logique quand on peut créer sa propre réalité ?
Et qui sait ? Peut-être que dans quelques années, les vrais Brésiliens viendront en France pour découvrir leur propre cuisine, version halal. Ce serait le comble du retournement culturel, et Mohamed Boucherit pourrait alors se targuer d'avoir exporté sa vision du Brésil... au Brésil même.
En attendant, bon appétit, et vive la mondialisation culinaire !